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David est une figure des ténèbres de Las Vegas. Un de ces anciens à la peau dure qui ont fr?lé la mort moult fois, réchappé aux montées subites des eaux, aux rixes et bagarres sanglantes, parfois [link widoczny dla zalogowanych] pour une pièce de 1 cent, selon les histoires que l'on se raconte ici-bas. David est le premier sans-abri croisé dans ces canalisations par Matthew O'Brien, un journaliste installé à Las Vegas depuis les années 1990 et qui a révélé l'existence de cet univers surréel.
D'abord les lumières de la ville et l'odeur de l'argent facile. L'insolent soleil ensuite et l'image de ces touristes venus se le portrait sous le gigantesque panneau "Welcome to fabulous Las Vegas", la précieuse relique des années 1950 déplacée régulièrement un peu plus au sud du boulevard central, le Strip, avant les nouveaux h?tels de et casinos surdimensionnés. D'ici, Vegas l'aguicheuse se donnerait même des airs de paradis terrestre.
"J'ai essayé de les traces d'un assassin psychopathe et j'ai trouvé une société parallèle avec ses codes et ses principes", explique-t-il, sagement installé à la terrasse d'un petit restaurant au méditerranéen, situé en marge des quartiers touristiques. Originaire de Washington, il admet été lui aussi intrigué par le dynamisme du Las Vegas des années passées, ce c?té très "rêve américain", celui-là même qui s'est refermé un jour sur ceux qu'il n'en finit pas de sous terre.
Il en tirera un ouvrage paru voilà un peu plus de deux ans, Beneath the Neon ("Sous le néon", , 282 p., non traduit). Un livre-témoignage sous la forme d'une galerie de portraits tendres et durs à la fois de paumés alcooliques, clochards célestes, joueurs en fuite ou criminels drogués.
Medina ne sourit pas à l'évocation des tunnels. Jeune femme à la beauté brisée par des années de sévices et de maltraitance, elle tente depuis un an de une porte de sortie à sa triste vie. Agée de 36 ans et mère de cinq enfants qu'elle conna?t à peine, cette "native" américaine, indienne de la tribu des Tonga, a décroché avec Many, son compagnon, un appartement propret géré par Help dans les quartiers est de la ville. Tous deux se sont rencontrés dans la rue avant de dispara?tre un an dans une conduite souterraine, à quelques pas du Flamingo, immense h?tel-casino de plus de 3 000 chambres.
"C'est lui qui m'a entra?née en dessous, dit-elle. Je croyais d'abord qu'il voulait me ." Passé les premières [link widoczny dla zalogowanych] frayeurs, ils ont, comme d'autres, formé une petite communauté d'une dizaine de personnes. Une nouvelle , selon ses propres mots.
Comme Craig, David a tout quitté voilà belle lurette pour s' à Las Vegas, attiré par cet eldorado aux [link widoczny dla zalogowanych] billets verts et aux promesses d'embauche à n'en plus . Et puis, comme Craig, il a connu la chute, cette lente déchéance où les dettes de jeu deviennent insurmontables, les rempla?ant les amis et les proches avant que la violence de la rue ne fauche tout sur son passage. "Cette fois-ci, j'en ai marre, jure-t-il, sans un regard pour Craig. Je dois ce trou."
Lui-même ne voit rien dans l'obscurité, mais ce n'est pas nécessaire. L'expérience et une longue pratique de l'errance lui ont appris que est un métier : un morceau de tissu accroché en travers du tunnel pour se [link widoczny dla zalogowanych] du vent, une lampe torche à portée de main, de l'eau en bouteille, un vélo tout-terrain et un téléphone portable. Le matelas, lui, est posé sur des cartons. "J'avais installé une armoire et un cadre en bois pour surélever mes affaires, mais la dernière inondation a tout emporté. C'est dur, c'était la troisième en quelques mois."
Et puis plus rien. Le noir. Le froid aussi, l'humidité et la poussière. Là, juste en contrebas, à 4 ou 5 mètres des trottoirs du Strip, deux entrées de tunnels, c?te à c?te. Deux bouches grandes ouvertes, sorties de nulle part, surgies du dessous de la terre : deux des dizaines de points d'accès d'un labyrinthe de plus de 300 kilomètres de long, monumental entrelacs souterrain de béton et d'acier, haut de 1,80 [link widoczny dla zalogowanych] mètre et large d'à peine un peu plus. Bienvenue dans les égouts de !
Selon lui, la situation a même empiré. Les meilleurs emplacements sont occupés depuis [link widoczny dla zalogowanych] longtemps, reléguant les nouveaux venus toujours un peu plus loin dans l'obscurité, dans les recoins les plus étriqués et nauséeux, où l'air est pollué et la noyade quasi assurée en cas de crue brutale. "Tous ces endroits sont extrêmement dangereux, explique O'Brian, [link widoczny dla zalogowanych] mais ils représentent aussi paradoxalement une étonnante protection. La fra?cheur des canalisations les protège des grandes chaleurs. Les policiers, eux, s'y risquent peu, tout comme les bandes de jeunes qui les malmènent à la surface. Et puis cet anonymat furtif leur permet de tant bien que mal des excès de Las Vegas."
Alors, le journaliste a décidé de contact avec les rares organisations d'aide fédérales implantées à Las Vegas. Il a accompagné les travailleurs sociaux du Help of Southern Nevada. Plus d'une centaine d'hommes et de femmes terrés dans les tunnels ont ainsi été approchés ces dernières années. Une trentaine ont accepté de un programme de . "La réinsertion est encore plus difficile pour eux que pour ceux qui vivent dans la rue, reconna?t Macheo Willis, jeune permanent chez Help. A ainsi dans les ténèbres, ils développent une profonde résistance au changement. La drogue, les maladies et l'instabilité psychique résultant de l'isolation contribuent à cet état de fait."
"Qui va là ?", demande une voix usée, à peine sortie du sommeil. Craig, comme il se nomme d'emblée, se lève et frotte vigoureusement ses yeux. Aucune agressivité dans le ton, aucune complainte. Le vieil homme fait partie de ce royaume des ombres depuis une éternité. "Cinq ans, [link widoczny dla zalogowanych] plus ou moins", pense-t-il. Sa tente, rivée aux parois, est la première que l'on croise après une vingtaine de mètres à t?tons.
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Bienvenue dans l'envers du décor, dans ces canalisations construites à la fin des années 1970 pour évacuer l'eau des pluies, souvent torrentielles. Elles sont occupées aujourd'hui par plusieurs centaines de sans-abri. Entre 300 et 500 homeless, pauvres parmi les pauvres, miséreux rejetés dans les entrailles de la ville dorée, vivent ici loin des regards.
En 2002, intrigué par une sordide histoire de meurtre dans laquelle un tueur avait réussi à à la barbe des policiers en empruntant ces conduites souterraines, ce trentenaire, alors rédacteur au magazine local Las Vegas CityLife, décida d'y à son tour. Après David, Matthew O'Brien tombe sur Lawrence, puis Ron, Josh, Mike et tant d'autres. Il prend des notes, enregistre des entretiens. A la suite d'une série d'articles remarquée, il quitte son job pour , bonnet noir sur le cr?ne, bottes aux pieds et lampe de poche à la main, les dédales de cet autre monde.
Le vieux Craig dit ne pas posséder d'arme. Il sourit aussi à l'idée d' peur. Avec d'autres oubliés de la vie, il raconte comment, avant que l'eau n'emporte tout sur son passage, ils avaient accroché des pièges, des fils reliés à des clochettes aux différents points d'accès pour prévenir des intrusions. "L'un de nous était toujours là pour veiller", assure-t-il. Solidarité d'infortune, entraide passagère pour abris fant?mes d'un même tunnel : "Je dors la journée, comme les autres. [link widoczny dla zalogowanych] La nuit, je sors, comme eux, pour récupérer dans les casinos les pièces oubliées dans la gueule des bandits manchots." Une pratique ancestrale dans cette ville aux 200 000 machines à sous et surnommée le [link widoczny dla zalogowanych] "silver mining", la pêche à l'argent.
La nourriture, Craig dit la avec les food stamps, ces bons alimentaires d'environ 450 dollars (près de 355 euros) par mois distribués par l'Etat fédéral aux plus démunis. L'argent restant, il le fume, du cannabis exclusivement, sa seule drogue, assure-t-il.
Matthew O'Brien a dénoncé l'incurie des élus locaux qui, selon lui, "criminalisent les sans-abri". Ici, comme ailleurs aux Etats-Unis, leur nombre [link widoczny dla zalogowanych] a augmenté de plus de 12 % ces dernières années de crise, atteignant un chiffre record de 13 000 individus rien qu'en ville. Face au phénomène, le conseil municipal n'a rien trouvé de mieux que d' en 2006 la distribution de nourriture dans les parcs publics. De jour comme de nuit, la n'hésite pas à déloger ceux qui y dorment. "Rien n'est fait pour eux, ajoute le spécialiste. Tout est fait au contraire pour qu'on ne les voie pas."
David est allongé dans un sac de couchage déchiqueté, étalé sur le sol. Une longue cicatrice sur le front ouvre une parenthèse sur son visage marqué par l'. Il dit qu'il a froid. Qu'il a été battu. Qu'il veut de l'. Sa voix, plus grave encore que celle de Craig, ressemble presque à celle d'un commentateur radio.
Un jour, un raccordement de canalisation a rendu leur situation intenable. "C'en était trop, glisse-t-elle. Et puis je crois que je voulais mes enfants." Medina et Many affirment arrêté l'alcool avant d' dans le programme. Ils disent . D'une même voix, ils ajoutent eu de la chance. Ils sont remontés au grand jour. Bienvenue à Las Vegas.
On avance. Sur un mur, on distingue à peine quelques mots délavés écrits à l'encre noire. Une variation du poème de l' Milton, Le Paradis perdu. Craig s'interrompt, toujours en riant : "Je ne suis pas très facile à ." En regardant droit devant, en direction d'un puits de lumière, il ajoute : "La vie en groupe ne me [link widoczny dla zalogowanych] pla?t pas." Sa manière à lui de qu'il ne remontera pas à la surface avant longtemps.
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